Le modèle des organisations évolue et nécessite des innovations managériales. Celle du management par le pouvoir d'agir en fait partie et permet une meilleure autonomie des salariés.
La troisième révolution industrielle, fondée sur les technologies de l’information et l’avènement des marchés globaux, exige de nouvelles normes de management.
Les modèles d’organisation, les processus et les outils qui entraînent une transformation des comportements au travail sont appelés « innovations managériales ». La grande vague d’innovations tayloro-fordistes, en particulier à l’origine de la chaîne de production, a été jusqu’aux années 1970 source d’efficacité pour l’entreprise, avec le succès de la production de masse, et aussi de bien-être matériel des salariés, avec l’accès à la consommation de masse. Dans un contexte de troisième révolution industrielle, de globalisation des marchés et de transformations sociétales, comment les innovations managériales actuelles, centrées sur le pouvoir d’agir, peuvent-elles jouer un rôle équivalent pour les entreprises et ce alors que les salariés demandent bien plus que de la satisfaction matérielle ?
Une quête d’épanouissement et de justice sociale
Entre 12 000 et 8 000 ans avant Jésus-Christ, la révolution agricole a bouleversé l’humanité. De chasseurs-cueilleurs, nos ancêtres sont devenus paysans sédentaires. Ils ont dû apprendre à se comporter en habitants de villages et de villes, à cultiver leurs champs, à défendre leurs terres et à adorer d’autres dieux, tout en faisant face à l’apparition nouvelle de maladies, de guerres et de famines. Nos révolutions industrielles, et en particulier la troisième, impliquent des changements encore plus importants. Nous habitons autant des mondes digitaux que le monde réel. Nous avons resserré nos liens économiques au point de faire tous partie du même village global et nos nouvelles croyances nous amènent à vouloir un meilleur niveau d’épanouissement personnel et de justice sociale.
Du déséquilibre des écosystèmes naturels à la remise en cause de notre rapport au travail du fait du développement de l’intelligence artificielle : les menaces sont elles aussi devenues plus globales. L’historien Yuval Noah Harari, dans son livre « Homo Deus » (Albin Michel, 2017), prédit même l’apparition d’un nouveau type d’humain en raison des avancées rapides dans le domaine du génie génétique. Une caractéristique de ces changements est qu’ils se diffusent rapidement. La troisième révolution industrielle est née en 1969 au lancement d’Arpanet, l’ancêtre d’Internet, soit il y a seulement un demi-siècle. Par comparaison, il a fallu 4 000 ans à la révolution agricole pour se diffuser du Proche-Orient jusqu’à l’Europe.
Depuis la fin du 18e siècle, l’entreprise est devenue l’unité fondamentale de notre système économique et social. Ce sont les entreprises qui organisent le travail productif, mettent en vente leurs produits et leurs services sur des marchés concurrentiels et redistribuent les richesses ainsi créées aux différentes parties prenantes. A chaque révolution industrielle, un modèle managérial innovant a pris forme – en cohérence avec les innovations technologiques en cours – et a transformé les comportements sociaux.
Un modèle tayloriste éculé
La petite entreprise verticale centralisée autour d’un patron autocrate, typique de la première révolution industrielle a laissé place, au début du 20e siècle, avec l’avènement de la deuxième révolution industrielle, au modèle bureaucratique webérien puis au modèle industriel taylorien et fordiste. Frederick W. Taylor disait vouloir réconcilier les besoins des industriels et des salariés grâce à une organisation du travail permettant une augmentation partagée des gains de productivité. Ainsi, il visait à la fois l’efficacité de la production et le bien-être social. Son modèle d’innovation managériale a rempli ce double objectif jusqu’à la crise des années 1970.
A son tour, la troisième révolution industrielle, fondée sur les technologies de l’information et l’avènement de marchés globaux, appelle aujourd’hui l’apparition d’une forme nouvelle d’organisation. Le modèle le plus à même de rendre les entreprises aptes à faire face à ces changements est celui qui aidera les salariés à être plus à l’écoute du client, innovants et flexibles. Mais aussi à coopérer en équipes horizontales tout en étant capables d’autonomie. Ceux-ci pourront alors favoriser des liens qui soient réellement créateurs de valeur (et potentiellement disruptifs) entre les demandes des clients (internes ou externes) et les ressources des fournisseurs (internes ou externes).
Une multitude d’innovation managériales
Il n’existe pas aujourd’hui de penseur semblable à Frederick W. Taylor, Henry Ford ou Max Weber qui nous montre la voie pour construire le modèle d’organisation adapté à cette troisième révolution. En revanche, une multitude d’innovations managériales visant à rendre le fonctionnement des entreprises plus efficace tout en répondant aux besoins des salariés se diffusent. L’ampleur des incertitudes technologiques, concurrentielles et sociétales en cours, en l’absence d’organisation permettant de les maîtriser et de leur donner du sens, est pourtant à l’origine de réactions défensives. Ces difficultés sont attestées par l’augmentation de la souffrance au travail, des sentiments de solitude et d’épuisement et des conflits sociaux. Selon le baromètre Ayming, les arrêts de travail ont augmenté en France. Ils représentaient en moyenne 17,2 jours par an et par salarié du secteur privé en 2017, en hausse de 4% par rapport à l’année précédente. Il n’en reste pas moins que certaines de ces innovations commencent à construire un nouveau modèle d’entreprise à la fois plus efficace, plus juste et favorisant l’épanouissement.
Un développement du pouvoir d’agir dans les organisations
Au centre de ces innovations managériales en cours il y a la notion d’ « empowerment » que l’on pourrait traduire en français par « développement du pouvoir d’agir ». Le modèle de l’holacratie, les principes de l’entreprise libérée, les organisations dites Opale visant l’auto-gouvernance décrites dans l’ouvrage de Frédéric Laloux « Reinventing Organizations » (Diateino, 2015) et les nombreux essais similaires visant à concevoir une nouvelle manière d’organiser et de coordonner le travail partagent cette volonté de développer la capacité d’action des salariés. Mais contrairement au tayloro-fordisme en son temps, aucune nouvelle norme générale d’organisation ne s’impose aujourd’hui. Ce n’est pas seulement parce que nous sommes aux prémices d’un nouveau modèle. C’est plus plausiblement parce que le mode de diffusion des innovations sociétales et managériales s’est transformé dans notre société et dans nos entreprises pour devenir plus décentralisé et plus ascendant.
Des consultants proposent ainsi et diffusent de nouveaux outils (par exemple les « processus délégués » du coach Alain Cardon pour déléguer la prise de décision dans une équipe). Des chercheurs en management inventent de nouvelles méthodes comme le « processus juste » (ou « fair process ») découvert par le chercheur américain Robert Folger puis popularisé par les professeurs à l’INSEAD W. Chan Kim et Renée Mauborgne. De nombreuses entreprises forment leurs managers à de nouvelles manières de gérer leurs équipes en prenant la posture de « managers-coach » élaborée par l’ex-coach sportif John Whitmore dans son ouvrage séminal « Le guide du coaching au service de la performance ». Ces modes de gestion laissent aux salariés des espaces d’initiatives et promeuvent un accompagnement afin qu’ils prennent des décisions et agissent par eux-mêmes dans leur zone de délégation Il ne s’agit plus de produire de l’obéissance à la hiérarchie et aux procédures mais de favoriser la possibilité de s’engager au service d’un projet commun qui a du sens.
Ce management par le pouvoir d’agir transforme les comportements des salariés vers plus d’autonomie, de prise d’initiative et de responsabilisation. En plus de permettre à l’entreprise de s’adapter à la troisième révolution industrielle, ces comportements peuvent être source d’épanouissement au travail et donner le sentiment d’être traité justement. Ce résultat gagnant-gagnant n’a pourtant rien d’automatique. Il implique un changement profond et durable des principes managériaux encore largement directifs. Adopter ce mode de management consiste aussi à créer des contextes favorisant l’activation des ressources des salariés qui doivent s’engager dans cette voie librement. Imposer le pouvoir d’agir serait paradoxal. Même si elle n’a pas encore transformé fondamentalement l’organisation de l’entreprise, ce type d’innovation managériale montre le chemin.