Conduite du changement : halte au prêt-à-penser, « cultivons notre jardin »!

 

En s’inspirant du Candide de Voltaire, le manager confronté à la nécessité de conduire le changement gagnera un temps précieux. Le héros de ce conte philosophico-satirique regagnera finalement son château de Westphalie, au terme d’un voyage initiatique du Paraguay à Constantinople, sur un constat : aucun des grands systèmes de pensée vantés par ses interlocuteurs n’a résisté aux tribulations de son voyage : ni la « métaphysico-théologo-cosmolonigologie » de son maître à penser, Pangloss, ni le pessimisme doctrinal de son compagnon de voyage Martin. Candide en conclura qu’il faut « cultiver son jardin », c’est-à-dire se défier des grandes théories et privilégier une démarche personnelle modeste et pragmatique. Le parallèle est tentant avec les grandes écoles de conduite du changement.

Un taux d’échec de 70%

Peu de managers ou de dirigeants, en effet, peuvent aujourd’hui se soustraire à l’impératif de changement. Au sein d’organisations gigantesques et en constante reconfiguration, dans un environnement en mutation rapide, la « transformation » est devenue la nouvelle routine. Pourtant, la réussite de ces processus organisationnels reste une exception : une étude menée par McKinsey auprès de plus 3 000 dirigeants évalue leur taux de succès à moins de 30%. Face à ces enjeux, le dirigeant est tenté de chercher un secours chez les « penseurs » du changement, et peut se dire qu’il lui faudra soigneusement sélectionner puis appliquer LA méthode qui garantira son succès.

Il embarque alors dans un voyage conceptuel non moins pittoresque que celui de Candide. Il prend part à de savoureux débats entre systémiciens, adeptes de « la stratégie du projet latéral », disciples de Kotter ou encore inconditionnels de Crozier. Car de nombreux spécialistes ou coachs sont issus d’une de ces écoles, et appliquent des approches déterminées par ces courants de pensée. Les limites de celles-ci ? Utiles dans une situation donnée, elles peuvent s’avérer contre-productives dans d’autres.

Connaître l’ensemble des outils pour mobiliser les bons

Prenons un exemple : une transformation à mener dans l’urgence, sous la menace d’une cessation d’activité, passant par un plan social et impliquant d’obtenir des résultats rapidement. Dans ce cas, les approches planifiées, recommandées notamment par Kotter, seront bien indiquées, car rapides et proposant un récit structurant aux yeux de tous. A l’inverse, des approches s’appuyant sur une connaissance fine des groupes d’influence au sein de l’entreprise serait plus longue à mettre en place, et moins unificatrice face au péril. En revanche, dans le cadre d’une transformation à grande échelle, mais avec des enjeux à plus long terme – pas d’enjeu immédiat de survie, juste des améliorations opérationnelles à mettre en place –, on pourra choisir avec plus de bonheur une approche s’appuyant sur des groupes porteurs et des pilotes, qui permettra in fine de mieux réussir le déploiement vers les groupes initialement réfractaires.

Il importe donc de connaître l’ensemble de la « boîte à outils » conceptuelle pour mobiliser, dans un contexte forcément unique, les outils théoriques pertinents. Et de garder à l’esprit que plusieurs approches coexistent, qu’aucune ne se suffit à elle-même, ni ne peut primer sur les autres.

L’apport des sciences sociales

Les sciences sociales d’abord – sociologie, psychologie, sciences politiques – analysent des dimensions spécifiques de l’homme au travail. Celui-ci sera tour à tour conçu comme constructeur de sens, mû par le développement d’une activité économique, ancré et structuré par des routines organisationnelles, maximisant à son profit ses marges de manœuvre, etc. Chacune de ces grilles de lecture est précieuse, néanmoins elles ne touchent pas aux questions de planification, incontournables dès lors que la transformation doit s’opérer à grande échelle.

Les instruments de « planned change »

Une deuxième série de méthodes, bien connues des consultants sous l’étiquette de « planned change », relève de la boîte à outils comportementalistes. Ces méthodes structurent l’organisation et ses salariés, et entendent maîtriser la conduite du changement en décortiquant ses étapes. Chacune est ensuite conçue comme un processus de stimulation-réponse : en injectant les bonnes informations au bon moment, l’individu adoptera le comportement attendu. Le changement est une séquence : communication d’une vision, mobilisation, formation, accompagnement, etc. Là encore, aussi pertinente soit-elle, cette palette d’outils atteint ses limites lorsqu’il s’agit d’associer l’employé à la définition de la solution, et non plus seulement de la « faire passer ». Il faut pour cela du temps, de l’écoute, et une certaine souplesse afin de co-construire le changement.

Les démarches d’organisation apprenante

Partant de ce constat, une troisième catégorie d’approches, regroupées autour du concept « d’organisation apprenante », prend acte de la complexité des organisations et cherche à décrire des systèmes en évolution permanente. Ces démarches s’appuient sur l’identification de grands éléments structurants – un problème que l’on cherche à résoudre, des objectifs formulés en termes de grandes directions, des agents de changement et des groupes alliés – et laissent ensuite des marges de manœuvre substantielles aux acteurs.

Le diagnostic initial, une étape à soigner

Au-delà de l’intérêt théorique de ces approches, comment s’assurer qu’elles sont réellement adaptées à une situation de transformation donnée ? C’est là l’enjeu essentiel de la phase amont, celle du diagnostic préalable. Car une fois le processus de changement enclenché, il est à peu près aussi aisé de changer d’approche que de remplacer le moteur d’un avion en plein vol. On en veut pour illustration le cas de ce groupe industriel qui a eu toutes les peines du monde à faire apparaître comme sincère une démarche participative… après l’échec d’une première tentative menée à la hussarde. C’est donc le bon moment pour anticiper des questions aussi essentielles que : le changement s’impose-t-il de lui-même ou faut-il l’expliquer ? Faut-il consulter avant de décider ? Quels sites pilotes retenir ?

Managers, surinvestissez dans le diagnostic initial

On l’aura compris, la conduite du changement est affaire de personnalisation et doit s’affranchir de toute pensée unique pour puiser dans la diversité des écoles de pensée. Il s’agit d’adapter, à partir d’un diagnostic exhaustif, l’approche à la problématique. Alors non, pas de recettes toutes faites, pas d’étiquettes ni idées reçues, mais comme nous y invite Candide, du pragmatisme pour faire de chaque transformation « son jardin » !

Le 30/10/2014

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