J’ai lu avec attention et souhaite vous partager l’article de Mélanie Ciussi, Christophe Sempels et Dominique Van, dans HBR France, expliquant que privilégier l’approche effectuale à l’approche causale permet de dégager des solutions plus pertinentes et innovantes dans des situations complexes. Mais de quoi parle-t-on ?
Quel que soit le secteur d’activité, la gestion des problèmes fait partie du quotidien de l’entreprise. Quand ceux-ci sont complexes, c’est-à-dire lorsqu’ils contiennent plusieurs éléments combinés d’une manière qui n’est pas immédiatement intelligible, une solution originale et pertinente est souvent difficile à trouver. Pourquoi ? Car notre cerveau ne peut appréhender un phénomène complexe et l’ensemble de ses interdépendances d’un seul bloc, mais seulement partiellement. Tout phénomène de ce type appartient en effet à un système au sein duquel les interactions ne sont pas toutes connues ni même facilement repérables. Il n’est ainsi pas forcément intuitif de relier l’élection de Donald Trump avec le cours de l’acier. En évoquant son projet controversé de mur entre les Etats-Unis et le Mexique, ce lien contre-intuitif s’en trouve facilité.
Cette nature intrinsèque de la complexité est difficile à appréhender. La tentation est alors grande de simplifier la situation à outrance, au risque de prendre une décision peu efficace. En effet, le réflexe peut consister à :
1. Partir du problème : par exemple, la difficulté de motiver les salariés d’une entreprise.
2. Se focaliser sur une cause jugée prioritaire en répondant à la question « pourquoi ? » Dans le cas de la démotivation, faisons l’hypothèse que le dirigeant l’impute à un salaire insuffisant.
Cette cause le renvoie alors à une solution : mettre en place des primes aux résultats. Un peu caricatural, cet exemple met néanmoins en évidence le danger de nier la complexité. Si la démotivation au travail peut s’expliquer par une contrepartie financière jugée insuffisante, elle peut aussi être due à des conditions de travail difficiles, à l’incapacité de trouver du sens dans le travail demandé, ou encore à la présence d’une hiérarchie trop autoritaire. Ne considérer ce problème que par la causalité simple amène à des solutions partielles, incomplètes, voire inadaptées. Alors, que faire ? Heureusement, il existe une autre manière de trouver des solutions pertinentes à un problème complexe.
Passer à la logique effectuale
L’approche causale simple s’appuie sur une double dynamique : partir d’un problème (la démotivation des salariés) et en chercher la principale cause (l’insuffisance des salaires). Observons maintenant comment des « problem solvers » ayant trouvé des solutions originales et pertinentes à des problèmes complexes fonctionnent.
En effet, ils ne partent pas du problème mais d’un objectif relié à ce problème. Dans ce cas précis, il s’agit de motiver durablement ses salariés. Ce faisant, ils évitent de tomber dans la recherche des causes pour s’intéresser aux conséquences ou aux effets. Il s’agit de la logique effectuale décrite par Sarasvathy en 2001.
Cette recherche de conséquences ne vise plus à répondre à la question « pourquoi ? » mais à la question « pour quoi ? ». Les solutions trouvées à partir des conséquences sont en effet bien différentes et la plupart du temps plus pertinentes que par le biais d’un questionnement des causes, souvent incomplet.
Reprenons notre exemple de la motivation. Questionnons les « pour quoi ? » motiver les collaborateurs, au lieu de partir des causes du manque de motivation. Les conséquences attendues d’une plus grande motivation au travail sont multiples :
– Le développement de la prise d’initiative positive au travail ;
– L’augmentation de la pertinence du travail réalisé au regard de la raison d’être de l’entreprise ;
– Le développement d’une efficacité professionnelle ;
– La génération de bonheur au travail ;
Il convient désormais de discerner, parmi l’éventail de conséquences, celles qui sont le plus fortement reliées au but initial visé. Pourquoi cette étape ? Car elle permet de retenir les plus pertinentes et d’y associer des espaces porteurs de solutions. Ainsi, « le développement de la prise d’initiative positive au travail » et « l’augmentation de la pertinence du travail réalisé » sont plus fortement reliés à la motivation que le « développement de l’efficacité professionnelle » ou « la génération du bonheur ». En effet, les deux dernières dépendent de paramètres bien plus vastes.
De la même manière, certaines conséquences peuvent être englobées par d’autres. Développer la prise d’initiative positive au travail permet d’accroître la pertinence du travail réalisé. Dans ce cas, nous ne retenons que l’espace le plus englobant, ici : « augmenter la pertinence de son travail au regard de la raison d’être de l’entreprise ».
Imaginer des solutions originales
Penser le problème initial à ce niveau de réflexion permet d’imaginer des solutions originales qui ne pouvaient être envisagées précédemment comme :
– Travailler collectivement au renforcement de la clarté des rôles des salariés et aux périmètres d’autorité qui leur sont assignés pour pouvoir l’ exercer de manière efficace ;
– Offrir aux salariés des espaces d’expérimentation pour tester et évaluer de nouveaux modes d’organisation de leur travail ;
– Permettre aux salariés de participer à l’innovation de l’entreprise pour renforcer la pertinence de ses produits, de ses services et de ses modes d’interaction avec les clients ;
– Passer d’un pilotage organisationnel fondé sur le travail prescrit (la règle produite par la hiérarchie, pour faire simple) à un pilotage fondé sur le travail réel (la manière dont le travail est effectivement exécuté par les collaborateurs), et inscrire cela dans un système d’innovation organisationnel.
Il ne s’agit là que d’exemples qui montrent que la question de la motivation au travail peut trouver des solutions originales et pertinentes alors même qu’à aucun moment, les causes du problème initial n’ont été évoquées.