Le surface acting

Un facteur de risques psychosociaux

Source : Maurice Lévy, Brain Conseil

Par Alain Chignard : psychologue du travail et fondateur de Sens & Cohérence

« Fais attention à tes attitudes et souris un peu, si tu veux évoluer, il faut que tu la joues Corporate », « je sais que c’est dur, mais serre les dents et retiens tes larmes, il ne faut pas qu’ils te voient faible ». Toute ressemblance avec des situations réelles n’est pas le fruit du hasard, ces phrases ont été entendues, il y a quelque temps, dans une entreprise en pleine réorganisation.

 

Le surface acting, une dissimulation des émotions

 

Aux salariés qui ne pouvaient réprimer leur peur devant la possibilité de perdre leur poste ou leur colère face à une promesse d’évolution non tenue, on a répondu par une prescription aussi vaine que douloureuse : fais semblant au mieux de ne rien ressentir et au pire d’être content. Que se passe-t-il dans ce genre de situation ?

Lorsque l’on est tenu d’exprimer une émotion que l’on ne ressent pas vraiment, ici la satisfaction au lieu de la peur ou de la colère, on entre dans ce que les psychologues du travail appellent le « surface acting » : je fais semblant, en superficie, d’éprouver l’émotion demandée. On joue un rôle qui crée en nous une dissonance émotionnelle, c’est à dire un écart entre la réalité ressentie et la facticité de ce que nous laissons sciemment transparaître.

 

Le surface acting : un facteur de risques psychosociaux 

Particulièrement désagréable, le surface acting engendre des tensions à la fois physiques et psychologiques chez l’individu, qui conduisent à des conséquences négatives, autant pour l’entreprise (turn over, absentéisme) que pour les équipes de travail (chute de la cohésion et de la collaboration) et les individus (burn out, déclin de la satisfaction, stress, somatisation, consommation de psychotropes).

Cette dissonance émotionnelle est à mettre en perspective avec les résultats de l’enquête ESENER qui faisait de la confrontation à des publics difficiles, le premier facteur de risques psychosociaux au niveau européen. En effet, le salarié d’une banque qui se sent agressé verbalement par un client mécontent, et le manager à qui l’on annonce, en séminaire, la disparition de son équipe entretiennent un rapport avec le professeur des écoles qui se fait insulter en classe : ils sont tous les trois dans l’impossibilité d’exprimer avec sincérité ce qu’ils ressentent réellement. Les normes de leur environnement professionnel ne leur offrent pas la possibilité de livrer leur colère ou leur tristesse publiquement, au risque de perdre leur crédit ou leur emploi.

 

C’est là que le management peut intervenir pour aider ces salariés en leur offrant un soutien émotionnel de qualité. En effet, un manager, préalablement formé sur ce sujet, saura anticiper les situations émotionnellement éprouvantes et recueillir les émotions pénibles de ses collaborateurs. En parallèle, il évitera de rompre la confiance et la cohésion dans l’équipe en s’abstenant de prescrire la joie quand on ressent de la tristesse, de demander de jouer la satisfaction quand c’est la colère qui prime.

 

Les émotions négatives n’ont pas vocation à être réprimées, mais plutôt à être exprimées pour ce qu’elles sont. Elles ont une fonction qu’il nous faut entendre et valoriser au travail : la tristesse active l’empathie des autres et l’évitement des sources de tension, et la colère permet de mobiliser de l’énergie pour lutter contre l’injustice perçue.

 

S’il est juste qu’une vraie tristesse vaudra toujours mieux qu’une fausse joie, autant l’accueillir pour permettre à l’individu d’identifier les ressources qui lui permettront d’agir pour retrouver à nouveau de vraies émotions positives.

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